
Se confronter à Aldabra, c’est supporter les conditions souvent difficiles de l’île mais chaque effort en vaut la peine. Par une rencontre avec une tortue, un coucher de soleil, un paysage idyllique, l’île sait récompenser ceux qui prennent soin d’elle. Mais elle ne s’offre jamais, elle se mérite.
Réveil à cinq heures du matin, au milieu des crabes coco et des tortues séculaires. La journée sera longue. Lundi 13 octobre, Thibault, ingénieur embarqué à bord du Plastic Odyssey, et Simon Bernard, chef d’expédition, doivent arpenter le sud de Grande Terre, une île de l’atoll d’Aldabra très exposée aux vents. Leur mission : cartographier les sites les plus pollués en vue d’une gigantesque évacuation de tous les déchets plastiques en 2027.
L’équipe effectue un premier vol de drone, vers l’ouest, direction Takamaka, un point situé à l’intérieur des terres à une distance d’environ 2 kilomètres du campement. Cette première heure de marche se déroule bien mais la prudence est toujours de rigueur. « Il faut faire très attention, » explique Thibault. « La moindre erreur d’inattention peut avoir de lourdes conséquences. Le camp de Takamaka est très rustique, il n’est pas du tout entretenu. Les murs sont en taule, il n’y a que deux lits. »

Se confronter à Aldabra, c’est supporter les conditions souvent difficiles de l’île mais chaque effort en vaut la peine. Par une rencontre avec une tortue, un coucher de soleil, un paysage idyllique, l’île sait récompenser ceux qui prennent soin d’elle. Mais elle ne s’offre jamais, elle se mérite. Après le déjeuner, l’équipe se remet en route en mettant cette fois le cap vers Dune Jean-Louis (DJL), à 18 kilomètres. « Nous portions chacun 20 kilos sur le dos, » raconte Simon. « On a vraiment galéré car le terrain était difficile. On a marché sur de grandes dunes, enjambé des crevasses dans la roche karstique. La prudence aurait été de s’encorder car la moindre chute aurait pu être fatale. Il y avait aussi des passages où nous étions en équilibre au bord de la falaise et de la mer. Ce n’était pas très haut, environ 2 mètres, mais nous n’aurions jamais pu remonter en cas de chute. »
Sur sa route, l’équipe croise beaucoup de bouées de pêche, quelques bouteilles d’eau, des bidons, des milliers de tongs et des amarres, du cordage enroulé. Pendant cette marche, Thibault et Simon rencontrent aussi de gros pains de polystyrène creusés par les éléments, semblables à des blocs de neige. Globalement, la quantité de déchets observée est inférieure aux prévisions. « Il y a évidemment des déchets mais moins que nous le pensions, » estime Thibault. « C’est très positif dans le cadre de la planification du futur cleanup. Mais le problème de l’extraction des déchets va se poser. Sur certaines portions, c’est impossible ou presque par la mer. »

L’équation est complexe. Comment évacuer 513 tonnes de déchets, estimés selon une étude scientifique en 2020, éparpillés sur une soixantaine de kilomètres dans un milieu assez hostile ? Simon Bernard a imaginé plusieurs solutions. Il faudrait d’abord équiper les collecteurs avec des claies de portage afin qu’ils puissent rassembler les objets les plus encombrants et les plus lourds (bidons, cordages…) et les amener à des points d’extraction plus accessibles. Les bouées en plastique pourraient être facilement reliées entre elles et accrochées à l’arrière de ces nettoyeurs, faisant pour chacun d’eux comme un voile de mariée. La solution imaginée par Simon pour évacuer les déchets au-dessus du karst serait de construire plusieurs toboggans en bambou. On en trouve beaucoup sur les plages. Accrochés les uns aux autres, les déchets, tractés au-dessus de la roche karstique par un Zodiac, pourraient ainsi glisser sur cette frontière naturelle et être récupérés en mer.
« En arpentant la côte, on a mis des points GPS, des sortes de repères qui nous serviront pour l’extraction. Il y a par exemple des plages sur lesquelles la plate-forme pourrait venir accoster, » explique Thibault. « D’autres, légèrement à l’abri du vent, pourraient servir de base-vie. Ces points GPS sont filmés à la Gopro pour plus d’efficacité dans la logistique… Le fait d’être sur le terrain nous permet de nous projeter pour étudier des lieux qui pourraient enfin être utilisés dans des situations d’urgence, pour évacuer des blessés par exemple. Le fait de vivre quelques jours sur l’atoll nous donne des quantités d’informations. Elles seront forcément utiles quand il faudra préparer le grand nettoyage d’Aldabra. »

L’après-midi touche à sa fin et la fatigue se fait sentir après une vingtaine de kilomètres de marche, des sacs remplis sur le dos. Soudain dans le ciel, un drone apparaît. C’est celui d’Alexis, plongeur professionnel pour l’Unesco… Le campement DJL est tout proche. Encore quelques kilomètres. Les silhouettes de Malhua et François se dessinent. DJL est là, tout proche. Quelle joie !
La soirée se passe tranquillement. Thibault, qui s’est coupé au niveau de la jambe sur de la roche karstique, désinfecte sa plaie. Oui, Aldabra se mérite.
Auteur : Pierre Lepidi, Grand Reporter au Monde
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