Avec l'aimable autorisation de la Seychelles Islands Foundation © Martin Von Rooyen

Jour 1 : « Aldabra, c’est parti ! »

Après quelques heures au mouillage en face de la capitale des Seychelles, le navire a levé l’ancre en début d’après-midi. « Aldabra, c’est parti ! », s’est réjouit Pierre-Louis, alias « Pilou », le second capitaine, en faisant sonner la sirène du bateau. Sous un ciel sans nuage, le Plastic Odyssey a d’abord remonté l’île de Mahé vers le nord. Puis lentement, la terre s’est éloignée.

Lorsque le Plastic Odyssey a largué les amarres ce matin du port de Victoria, une tortue de mer a été aperçue à tribord en train de nager à la surface. Faut-il y voir un signe de bon augure ? Un présage ? Après quelques heures au mouillage en face de la capitale des Seychelles, le navire a levé l’ancre en début d’après-midi. « Aldabra, c’est parti ! », s’est réjouit Pierre-Louis, alias « Pilou », le second capitaine, en faisant sonner la sirène du bateau. Sous un ciel sans nuage, le Plastic Odyssey a d’abord remonté l’île de Mahé vers le nord. Puis lentement, la terre s’est éloignée. Vers 18 heures à l’arrière du bateau, Germain, responsable de l’atelier embarqué, a pêché une jolie daurade coryphène. Le soleil affichait alors son attirance vers l’ouest et les collines des Seychelles disparaissaient derrière l’horizon.

Vue satellite d'Aldabra, NASA Earth Observatory © Wanmei Liang

Aldabra. La simple évocation de ce nom suffit à déclencher le rêve. C’est une invitation au voyage, à l’aventure. Il pourrait aussi s’agir d’un personnage, un magicien mystérieux sorti d’un conte des 1001 nuits. L’atoll, constitué de quatre îles (Malabar, Grande Terre, Polymnie et Picard), a la même origine que « Aladin ». Baptisé par des marins, son nom vient de « khadraa » qui signifie « la verte » en arabe. Est-ce en hommage à la couleur émeraude de son immense lagon ? Non, plutôt en raison d’une forme d’auréole verte que l’on aperçoit dans le ciel lorsqu’on s’approche par la mer et que l’équipage du Plastic Odyssey espère bien découvrir dans quatre ou cinq jours.

Aldabra se situe à 375 milles (700 km) de la Tanzanie, à 220 milles (407 km) de Madagascar. Il est donc plus proche de la « Grande Ile » que de Mahé. Mais Aldabra appartient bien à l’archipel des Seychelles, indépendante de la Grande-Bretagne depuis 1976. Son accès est aujourd’hui réglementé par la Seychelles Islands Foundation (SIF), une structure gouvernementale qui délivre au compte-gouttes les autorisations (« clearances ») pour se rendre sur l’atoll. Parti de Lamu, dans le nord du Kenya le vendredi 26 septembre, le Plastic Odyssey a dû passer par Victoria pour accueillir notamment une équipe de plongeurs et obtenir le précieux sésame lui permettant de s’arrêter à Aldabra, dont la surface mesure environ 1,5 fois la taille de Paris.

Aldabra, l'un des plus grands atolls coralliens au monde © Aldabra Islands

Les premiers Européens à l’avoir découvert sont les Portugais. Ils mentionnent pour la première fois son existence sur des cartes en 1517. L’atoll devient ensuite français puis britannique. Considéré comme un véritable paradis de biodiversité, son sable a aussi été foulé par plusieurs scientifiques de renom. A bord de son Beagle, Darwin y a débarqué au XIXe et fut l’un des premiers à attirer l’attention sur le caractère unique de l’atoll. Au milieu des années 1950, Jacques-Yves Cousteau eût lui aussi un véritable coup de cœur pour Aldabra, où il a tourné de nombreuses séquences de son célèbre film Le monde du silence. A cette époque, différents projets (fumeries de poissons, exploitation du bois de palétuvier, pêche industrielle…) menaçaient déjà l’écosystème de ce paradis naturel considéré comme le dernier sanctuaire des tortues géantes.

C’est finalement en 1982 que l’atoll a été inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. « Aldabra constitue un laboratoire naturel exceptionnel pour la recherche scientifique et les découvertes, considère l’organisme onusien avec lequel Plastic Odyssey a signé un partenariat en juin 2025. « L’atoll est un refuge pour plus de 400 espèces et sous-espèces endémiques : vertébrés, invertébrés et plantes. Parmi elles, on trouve la plus grande population au monde de tortues géantes Geochelone gigantea, avec plus de 100 000 individus. Elles sont les dernières survivantes d’une forme de vie autrefois répandue sur d’autres îles de l’Océan Indien. Aldabra en est aujourd’hui leur seul habitat restant… L’écosystème permet aussi la reproduction de populations en péril telles que la tortue verte ou la tortue caret. L’atoll est également un habitat naturel important pour les oiseaux avec deux espèces endémiques (la nésille d’Aldabra et le drongo d’Aldabra), et onze autres sous-espèces d’oiseaux. » Mais ce paradis est en péril. Une étude scientifique réalisée par une équipe de chercheurs composée notamment d’April Burt (Université d’Oxford) et Jeremy Raguain (SIF) a montré en 2020 que l’atoll était pollué par 513 tonnes de déchets plastiques !

Aldabra abrite la plus grande population mondiale de tortues géantes (Geochelone gigantea).

« Après avoir extrait 9 tonnes de déchets sur l’île d’Henderson dans le Pacifique sud en avril 2024, nous visons cette fois beaucoup plus gros », a fait savoir Morgane, responsable des escales du Plastic Odyssey, lors d’un briefing dans le port de Victoria vendredi 3 octobre. L’expédition, prévue pour durer une dizaine de jours sur Aldabra, n’aura toutefois pas pour but de nettoyer les côtes de l’atoll. « La quantité de déchets est tellement importante que nous devons mener d’abord une mission de reconnaissance », explique Simon Bernard, chef de l’expédition et armateur du Plastic Odyssey. « Le but sera d’étudier la faisabilité d’une vaste opération de nettoyage. Cela passe par une évaluation précise du tonnage des déchets, une étude cartographique des lieux où ils sont concentrés et enfin une analyse des techniques que nous utiliserons pour les évacuer. »

L'équipe Plastic Odyssey nettoie l'île Henderson (Pacifique Sud), février 2024 © Olivier Löser

Deux équipes, composées chacune de cinq personnes, se relaieront sur l’atoll, principalement sur Grande Terre, l’île la plus au sud d’Aldabra. Poussée par les courants et les alizés du sud-est, c’est sur ses rivages que la pollution plastique s’est accumulée au fil des décennies.

Il est 21 heures. Dans les cabines de l’équipage du Plastic Odyssey, il n’y a plus un bruit. A la passerelle, Yoann, le capitaine, est de quart avec Megan, matelot de pont. La cabine plongée dans l’obscurité, ils écoutent Tissilawen, un groupe de musique touareg. La musique douce va au rythme des mouvements du bateau.

Auteur : Pierre Lepidi, Grand Reporter au Monde

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Aldabra a toujours suscité l’admiration de ceux qui ont eu la chance de l’atteindre. Mais le plus grand défenseur de l’atoll fut le Commandant Jacques-Yves Cousteau (1910-1997). En plus de révéler au monde la beauté de l’atoll corallien, il s’est fait un devoir de le protéger contre différentes formes d’agressions provoquées par l’Homme. ...

Le navire vit au rythme des préparatifs du débarquement et rien n’est laissé au hasard. Afin de protéger la biodiversité, la Seychelles Islands Foundation (SIF), l’organisme chargé de la réglementation de l’atoll et la délivrance des permis, exige que tout le matériel débarqué sur l’île Picard soit préalablement débarrassé de poussière, sable, graines, terre. ...

L’une des missions que s’est fixée le Plastic Odyssey est de cartographier les sites où sont rassemblées les 513 tonnes de déchets plastiques recensées par une expédition scientifique en 2020. Poussés par les alizés, ils se concentrent dans le sud et l’est de l’atoll sur une distance d’une cinquantaine de kilomètres. Certaines de ces zones, comme le montrent les images satellites, sont très difficiles d’accès. ...