
Jour 2 : « Aldabra est un paradis qui se hérisse contre l’invasion des hommes »
Aldabra a toujours suscité l’admiration de ceux qui ont eu la chance de l’atteindre. Mais le plus grand défenseur de l’atoll fut le Commandant Jacques-Yves Cousteau (1910-1997). En plus de révéler au monde la beauté de l’atoll corallien, il s’est fait un devoir de le protéger contre différentes formes d’agressions provoquées par l’Homme.
L’équipage du Plastic Odyssey s’est réveillé lundi 6 octobre sous un ciel couvert et quelques grains. Au loin, les deux arches d’un arc-en-ciel apparaissaient à tribord. Selon plusieurs croyances, c’est un signe d’espoir, de paix et d’harmonie. Après la tortue aperçue hier dans le port de Victoria, les dieux de l’Océan Indien semblent multiplier les signes de bienveillance. A une vitesse d’environ 7 nœuds, le navire poursuit maintenant son cap au 230. Direction Aldabra.
Cet atoll seychellois, sur lequel le Plastic Odyssey doit effectuer une mission de reconnaissance d’une dizaine de jours pour extraire dans un second temps 513 tonnes de plastiques, est composé de quatre îles : Malabar, Grande Terre, Polymnie et Picard. Séparées par des passes relativement étroites, elles encerclent un immense lagon ovale de couleur émeraude.

Aldabra a toujours suscité l’admiration de ceux qui ont eu la chance de l’atteindre. Au XIXe siècle, le naturaliste Charles Darwin (1809-1882) y séjourna et fut convaincu à son retour de devoir protéger la biodiversité d’Aldabra, véritable paradis naturel et sanctuaire de plusieurs dizaines de milliers de tortues géantes. Mais le plus grand défenseur de l’atoll fut le Commandant Jacques-Yves Cousteau (1910-1997). En plus de révéler au monde la beauté de l’atoll corallien, il s’est fait un devoir de le protéger contre différentes formes d’agressions provoquées par l’Homme.
L’explorateur a visité l’île en 1954 et son expédition est aujourd’hui racontée dans deux livres. Le premier retrace cette aventure avec moult détails et anecdotes. Il a été écrit par Gustave Cherbonnnier (1909-1995), biologiste au Muséum d’histoire naturelle de Paris, embarqué à bord de la Calypso à partir de Doha. Le scientifique fut fasciné par la richesse naturelle de l’atoll : « Ce 9 mai, Aldabra se lève dans une aube de pourpre et d’or », décrit-il dans Aldabra, l’île aux tortues géantes (Gedalge Ed.). « Aldabra, l’enchanteresse, où j’oublierai pendant cinq semaines, le monde et ses tourments, les hommes et leurs mesquines querelles. Cinq semaines de béatitude. »

Le second ouvrage, où les photos sont directement collées sur les pages, a été écrit par le Commandant Cousteau lui-même. Bien que l’explorateur au bonnet rouge décrive dans ce livre également ses autres escales à Mahé (Seychelles) ou au Yémen, il a intitulé son ouvrage Aldabra, sanctuaire de corail (Ed. IMA). « Après des semaines merveilleuses et fructueuses, nous quittons Aldabra avec mélancolie », écrit-il en conclusion. « Outre les intéressantes récoltes des biologistes, nous y avons trouvé une atmosphère à la fois rude et attachante. Ce paradis des oiseaux, des tortues et des poissons se hérisse contre l’invasion des hommes. Pourtant, cette hostilité de l’île n’est qu’une défense passive : la nature a renoncé à ses armes habituelles, les serpents, les scorpions, les araignées venimeuses, tous inconnus ici… Je vais tenter un geste pour Aldabra. »
L’idée du commandant est de louer l’atoll, alors sous pavillon anglais, afin d’y établir une base scientifique et ainsi écarter les différents projets qui menacent son écosystème : fumeries de poissons, pêche industrielle autour de l’île, salaisons de viande de tortues, exploitation du bois de palétuvier pour en faire du carton d’emballage…
La suite est racontée dans le livre de Gustave Cherbonnier : « Le beau projet de Cousteau ne s’est jamais réalisé. Et pourtant, le Pacha a tenté l’impossible, allant jusqu’à être reçu à Londres par Churchill ce qui, en passant, n’est pas un mince hommage rendu par ce grand homme d’État à cet homme exceptionnel qu’est le pionnier de la plongée et du cinéma sous-marin. Tout ce que Cousteau a pu obtenir fut le classement, comme réserve naturelle, de l’île Picard. Ce qui, à tout prendre, est déjà un beau résultat. » Depuis, l’archipel des Seychelles a obtenu son indépendance (1976). Le célèbre atoll est aujourd’hui administré par la Seychelles Islands Foundation (SIF), une structure qui attribue, avec parcimonie, les autorisations « clearances » indispensables pour débarquer sur l’île.

Il est midi. Sur le Plastic Odyssey, les repas sont végétariens mais les poissons pêchés depuis le bateau peuvent être consommés. Aodren, le cuisinier, a préparé la daurade coryphène pêchée hier par Germain, responsable de l’atelier embarqué. Un délice !
Pendant les repas ou en cabine, le nom de Cousteau revient souvent dans les conversations depuis le départ de Victoria. Alexis Rosenfeld, plongeur professionnel embarqué à Mahé en compagnie de sa fille Maluha et de François, un caméraman, a bien connu l’homme au bonnet rouge. « J’ai eu la chance de participer à la dernière expédition du Commandant au milieu des années 1990 », se souvient-il. « C’était à Madagascar à bord de l’Alcyone, un navire océanographique. J’avais 22 ans et cela me semblait fou de vivre à ses côtés alors qu’il m’avait fait rêver pendant toute mon enfance… Je n’ai pas eu de conversations directement avec lui concernant Aldabra mais ce nom était souvent évoqué car nous étions très proches de l’atoll. »
A la passerelle en début d’après-midi, Lena, lieutenante, est de quart. « Il y a des dauphins à babord », lance-t-elle. « Il y a aussi quatre Fous qui nous suivent à l’avant du navire. » Le spectacle est grandiose, le ballet des oiseaux dans le ciel bleu magnifique.

Cette belle journée ne pouvait se terminer sans la projection du Monde du silence, le film majeur du Commandant Cousteau. A 21 heures, alors que la mer grossissait un peu, la salle de conférence était pleine pour assister au visionnage. Mais près de 70 années plus tard, certaines séquences du documentaire peuvent heurter et sembler anachroniques : pêche à la dynamite, massacre des requins, jeux brutaux avec les tortues géantes… Curieusement, l’atoll d’Aldabra n’est pas mentionné dans Le monde du silence. Mais ces images d’époques, tournées par Louis Malle, le réalisateur d’Au-revoir les enfants (1987), ont permis à tout l’équipage du Plastic Odyssey de s’approcher un peu plus du récif corallien. Le navire arrive dans deux jours, l’impatience monte.
Auteur : Pierre Lepidi, Grand Reporter au Monde
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