La navire Plastic Odyssey au mouillage devant Aldabra © Marine Reveilhac

Jour 3 : Derniers préparatifs avant de débarquer sur Aldabra

Le navire vit au rythme des préparatifs du débarquement et rien n’est laissé au hasard. Afin de protéger la biodiversité, la Seychelles Islands Foundation (SIF), l’organisme chargé de la réglementation de l’atoll et la délivrance des permis, exige que tout le matériel débarqué sur l’île Picard soit préalablement débarrassé de poussière, sable, graines, terre.

A bord du Plastic Odyssey, le temps s’est arrêté. C’était mardi 8 octobre en début de soirée, le soleil déclinait lentement et semblait jouer à cache-cache avec les nuages. Ses derniers rayons libéraient une lumière d’une douceur orangée, exceptionnelle. A l’avant du bateau, Meghane, Maluha et Morgane, respectivement matelot, plongeuse et responsable des escales, avaient sorti leur tapis de sol pour effectuer une séance de yoga et admirer le spectacle. Seules face à l’immensité de l’océan.

Au même moment à la passerelle, Pierre-Louis alias « Pilou », second capitaine, fredonnait en écoutant des chansons de Georges Brassens, Gilbert O’Sullivan ou Mayra Andrade. Le bateau suivait le tempo lent de la morna, la musique du Cap Vert. Vers 19 heures, le soleil disparut derrière l’horizon et la vie à bord reprit normalement son cours.

Aldabra, un site classé au patrimoine mondial de l'Unesco © Martin Van Rooyen, avec l'aimable autorisation de la Seychelles Islands Foundation

« On voit Aldabra sur la carte ! » s’exclama Morgane le lendemain matin en entrant dans le poste de commandement. « Nous devrions être au mouillage demain matin vers 9 heures, répondit Yohann, le capitaine. Il nous reste 160 milles [300 km] à parcourir. »

Perdu au milieu de l’Océan Indien, Aldabra est un atoll seychellois composé de quatre îles : Grande terre, Malabar, Polymnie et Picard. Sa surface représente 1,5 fois celle de Paris. Depuis 1982, il est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco qui a signé un partenariat avec Plastic Odyssey au printemps dernier. Véritable paradis naturel, Aldabra est aujourd’hui menacé par la pollution maritime. Selon une étude réalisée par une équipe de chercheurs en 2020, il y aurait près de 513 tonnes de déchets plastiques. « C’est l’un des atolls les plus pollués au monde », explique Simon Bernard, chef d’expédition et armateur du Plastic Odyssey. « Cette mission d’une dizaine de jours sur place aura pour but de cartographier les sites les plus pollués et d’envisager différentes solutions pour les évacuer. »

Déchets plastiques sur Aldabra, avec l'aimable autorisation de la Seychelles Islands Foundation

Le navire vit au rythme des préparatifs du débarquement et rien n’est laissé au hasard. Afin de protéger la biodiversité, la Seychelles Islands Foundation (SIF), l’organisme chargé de la réglementation de l’atoll et la délivrance des permis, exige que tout le matériel débarqué sur l’île Picard, où se trouve une base scientifique d’une dizaine de personnes, soit préalablement débarrassé de poussière, sable, graines, terre… Cette bio-désinfection vise à réduire au maximum le risque de contamination biologique. En salle de conférence ou sur le pont du bateau, les sacs de couchage, les affaires de toilette, les chaussures… sont soigneusement nettoyés. Avant le débarquement, une équipe du SIF doit monter à bord pour tout contrôler.

Depuis le départ de Victoria, capitale des Seychelles, la mobilisation de l’équipage est totale. Dans leur atelier embarqué, Germain et Mélodie ont conçu des semelles de protection, des surchaussures, à base de pneu recyclé. Elles doivent permettre à ceux qui débarqueront – deux équipes de cinq personnes ont été autorisées entre le 10 et le 18 octobre – de pouvoir se déplacer sur tous les types de terrains, y compris les plus hostiles. « Partout, le sol est un chaos de corail coupant, à nu, haché de crevasses, troué de puits qui sont autant de pièges », écrit le Commandant Cousteau dans Aldabra, sanctuaire de corail (Ed. IMA), lors d’une expédition en 1954. « Partout, une jungle de buissons épineux, impénétrables. » Germain et Mélodie ont aussi testé (et réparé) tous les équipements : dessalinisateur à batteries solaires, treuil… « La cartographie des déchets va se faire à l’aide de drones », explique Thibault, responsable des programmes d’incubation. « Mais ils ont une capacité limitée et la distance à couvrir est immense. On doit aussi tenir compte des difficultés de déplacements. Bref, il y a beaucoup d’hypothèses et autant d’inconnues. »

Aldabra, sanctuaire de corail © Adam Mitchell, avec l'aimable autorisation de la Seychelles Islands Foundations

L’expédition a d’autres buts que la cartographie en vue de l’extraction des déchets. « Nous espérons pouvoir prélever 1 tonne de déchets plastiques afin de réaliser des planches et du mobilier à bord du bateau », ajoute Thibault, également chargé de documentation des projets de recyclage. « Dans ce cadre, nous allons collaborer avec Brikole, une société seychelloise. Un autre sac sera enfin destiné à des artistes spécialisés dans les œuvres en plastique recyclé. » Et puis, il y a les tongs. Selon l’étude réalisée en 2020, il y en aurait 6 tonnes sur Aldabra. Une partie des sandales en plastique récupérées seront données à Océans Sole, une ONG kényane spécialisée dans ce type de recyclage.

Le Plastic Odyssey est maintenant au cœur de la nuit. La mer s’est levée et secoue le bateau dans tous les sens. Dans le mess, une pile d’assiettes est éjectée de son rangement et se brise au sol. En salle de conférence, l’imprimante fait un vol plané dans un fracas assourdissant… « Nous allons changer de cap et partir vers l’ouest », assure Yohann à la passerelle. « Les vagues ne viendront plus sur le côté mais par derrière, on va surfer sur elles. » Un message est envoyé à tout l’équipage sur Whatsapp : pas de sorties sur les ponts extérieurs pour raisons de sécurité.

Après cette nuit agitée, la mer s’est calmée au petit matin. Vers 9 heures, Aldabra se dessine au loin. « Après plusieurs jours de mer, c’est toujours émouvant de voir la terre », se félicite Morgane. Dans son récit de voyage, le Commandant Cousteau raconte qu’Aldabra « n’émerge pas de l’horizon brutalement » mais « se signale au veilleur attentif par une sorte de reflet verdâtre sur le ciel. » Ce matin, une auréole timide plane effectivement au-dessus de l’atoll. Le nom d’Aldabra, donné par des marins arabes, s’inspirerait de ce halo, « khadraa » signifiant « la verte » en arabe.

La navire Plastic Odyssey au mouillage devant Aldabra © Marine Reveilhac

Qu’allons nous y trouver ? Quelles solutions seront envisagées pour effectuer les déchets ? Comment seront établies les communications entre les équipes à terre et le bateau ? Le vent annoncé permettra-t-il de faire voler les drones ? Les questions fusent, l’excitation est à son comble.

Il est 10h30. Le Plastic Odyssey jette l’ancre en face de l’île Picard. A bord de la Calypso, le Commandant Cousteau en fit de même il y a sept décennies. « Le soleil levant éclaire une côte basse, déchiquetée, couverte de buissons et d’arbres de haute taille », raconte Gustave Cherbonnier, un biologiste du Muséum d’histoire naturelle de Paris ayant participé à l’expédition à ses côtés. « Nous longeons lentement l’immense et mystérieuse Aldabra. Nous distinguons mieux maintenant que nous nous sommes rapprochés ses côtes menaçantes faites de coraux morts. Les branches se dressent, telles des piques acérées ; elles surplombent de plusieurs mètres une mer rageuse qui part à l’assaut du sol en lames puissantes, rejaillit en énormes lames d’écume, se rue dans des grottes basses et profondes. » Le décor est exactement le même, 70 ans plus tard. Ici encore, le temps s’est arrêté.

Auteur : Pierre Lepidi, Grand Reporter au Monde

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Après quelques heures au mouillage en face de la capitale des Seychelles, le navire a levé l’ancre en début d’après-midi. "Aldabra, c’est parti !", s’est réjouit Pierre-Louis, alias "Pilou", le second capitaine, en faisant sonner la sirène du bateau. Sous un ciel sans nuage, le Plastic Odyssey a d’abord remonté l'île de Mahé vers le nord. Puis lentement, la terre s’est éloignée....

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L’une des missions que s’est fixée le Plastic Odyssey est de cartographier les sites où sont rassemblées les 513 tonnes de déchets plastiques recensées par une expédition scientifique en 2020. Poussés par les alizés, ils se concentrent dans le sud et l’est de l’atoll sur une distance d’une cinquantaine de kilomètres. Certaines de ces zones, comme le montrent les images satellites, sont très difficiles d’accès. ...