
Il faisait une chaleur étouffante, suffocante. Le premier défi fut de faire fonctionner le dessalinisateur d’eau de mer afin de se réhydrater. « L’eau, c’est la vie. La première chose qu’il faut assurer en mode survie, c’est toujours l’accès à l’eau », expliqua Thibault, ingénieur embarqué à bord du Plastic Odyssey. Comme il n’existe aucune source sur Aldabra, l’eau qui est consommée par l’équipe scientifique au quotidien est de l’eau de pluie filtrée. Chaque goutte consommée hors de la base doit donc être portée ou… dessalinisée.
Un parfum d’aventure flottait dans l’air lorsque les premiers membres du Plastic Odyssey ont foulé le sol d’Aldabra. Une légère brise balayait la côte et le sable était aussi étincelant que celui d’une carte postale ou d’un fond d’écran d’ordinateur. Il fallut plusieurs allers-retours pour décharger à terre l’ensemble du matériel d’expédition. Avec précaution, celui-ci avait été scruté par des scientifiques de la base à bord du Plastic Odyssey afin de vérifier que personne n’apporte sur l’atoll, inscrit au patrimoine de l’Unesco en 1982, des graines ou de la terre dans ses poches de pantalon, ses semelles de chaussures… L’autre partie des équipements (tentes, sacs de couchage…) avait subi la veille le même contrôle dans une pièce de la base scientifique spécialement dédiée à cet indispensable processus de biosécurité.
Vers 10 heures, tous les équipements ont été chargés à bord de trois bateaux dont le fameux Frigate, une barque à moteur saisie par le gouvernement seychellois à des pirates somaliens. Le chargement a été effectué à une centaine de mètres de la base scientifique devant une « passe » très large. Pour l’atteindre, il fallut suivre un sentier abrité par des arbres et passer devant plusieurs criques paradisiaques. Le chemin, également emprunté par une dizaine de tortues géantes, déboucha sur une petite plage où le vent était fort et le courant très puissant.

En cinq minutes, le matériel a été embarqué une nouvelle fois et les membres du Plastic Odyssey sont montés à bord. Cap au sud-est. L’excitation était alors à son paroxysme ! Au centre le l’atoll, le lagon est immense, environ 34 kilomètres de long. Il est ceinturé par quatre îles : Picard (où se trouve la base scientifique), Malabar, Polymnie et Grande Terre, où sont concentrés la majorité des déchets puisqu’elle se situe au sud et à l’est de l’atoll.
Ce samedi 11 octobre, le lagon de couleur émeraude n’avait rien d’un lac paisible. Les vagues étaient hautes et les membres du Plastic Odyssey ont été rincés à chaque accélération du bateau. Mais le spectacle était là, dans cette eau peu profonde où l’on voyait nager des dizaines de tortues de mer. Avec leurs pattes épaisses et puissantes, elles semblaient nous guider.
Après une traversée mouvementée d’environ une heure, nous avons emprunté cette fois un chenal étroit, tracé au cœur même de la mangrove qui formait un véritable labyrinthe d’eau et de plantes. Il faisait chaud et un silence, presque inquiétant, nous accompagna. « Nous ne pourrons pas aller plus loin, » assura Evanio, l’un des employés de la Seychelles Islands Foundation (SIF), la structure qui administre l’atoll d’Aldabra. « Nous allons devoir pousser le bateau sur une cinquantaine de mètres jusqu’au point de débarquement. » Les pieds s’enfonçaient jusqu’à mi-mollets dans la vase, une sorte de terre glaise extrêmement glissante. Il fallait aussi veiller à ne pas se prendre les pieds dans les racines de palétuviers. Mais le pire était devant nous.

Le karst est une formation géologique dans laquelle l’eau a creusé au fil des millénaires des centaines de cavités plus ou moins profondes. Il est friable et la roche, limée par le vent et la mer, est aussi coupante qu’une lame de rasoir. C’est sur ce terrain dangereux que nous avons débarqué sur l’île de Grande Terre. Le débarquement prit une bonne heure et nécessita plusieurs allers-retours entre le bateau et le campement, appelé Dune Jean-Louis (DJL) et situé à une vingtaine de minutes de marche du bateau.
Il faisait une chaleur étouffante, suffocante. Le premier défi fut de faire fonctionner le dessalinisateur d’eau de mer afin de se réhydrater. « L’eau, c’est la vie. La première chose qu’il faut assurer en mode survie, c’est toujours l’accès à l’eau », expliqua Thibault, ingénieur embarqué à bord du Plastic Odyssey. Comme il n’existe aucune source sur Aldabra, l’eau qui est consommée par l’équipe scientifique au quotidien est de l’eau de pluie filtrée. Chaque goutte consommée hors de la base doit donc être portée ou… dessalinisée.

Thibault et Simon Bernard, chef d’expédition, installèrent le panneau solaire pour alimenter l’osmoseur chargé de traiter l’eau de mer. L’appareil, qui pèse 12 kilos, commença à pomper mais, après une vingtaine de minutes, aucune goutte d’eau potable ne sortit du tuyau. Un embout, probablement endommagé pendant le transport, fut dévissé, nettoyé puis remonté. En vain. « On fera une nouvelle tentative demain », déplora Simon. « C’est important de faire fonctionner le dessalinisateur car nous devons partir bientôt au camp de « Dune de Mess » où il n’y a pas d’eau dans les citernes. Dans le cas contraire, il faudrait porter 15 litres d’eau par personne, ce qui est impossible compte tenu de tout le matériel que l’on transporte déjà. »
En attendant de faire fonctionner le dessalinisateur, le personnel de la SIF accepta gentiment de partager son eau avec l’équipe du Plastic Odyssey. Quel soulagement ! Les gorges étaient totalement desséchées après la traversée du lagon et le transport du matériel jusqu’au camp.
Le campement « Dune Jean-Louis », surnommé « DJL », est une baraque en bois ouverte aux quatre vents, construite à une trentaine de mètres des vagues. On y trouve deux pièces. La première fait office de cuisine et de salle à manger. C’est aussi là qu’on aime discuter, élaborer des stratégies en vue de la future évacuation des déchets. Dans la seconde, on trouve six lits superposés et autant de matelas recouverts de poussières et de sable. Le matériel de l’expédition y est exposé dans un coin. Au plafond, plusieurs cordages permettent de faire sécher les vêtements, souvent trempés de sueur. Dans le prolongement de la chambre sur la gauche se trouve la… salle de bains, où les douches se prennent au seau. Enfin, il est inutile de chercher des toilettes car il n’y en a pas. Les besoins se font sur la plage, face à la mer. Une petite pelle en plastique, semblable à celle qu’utilisent les enfants du monde entier pour faire des châteaux de sable, sert à recouvrir ses matières fécales.

Sur DJL, il faut aimer cohabiter avec les animaux. Une dizaine de tortues a élu domicile devant la porte d’entrée. Elles se nourrissent des restes de nourriture et boivent de l’eau de vaisselle pour se rafraîchir. Le soir, il y a aussi de nombreux crabes. Les plus gros doivent faire quatre ou cinq kilos. Il y a enfin des rats. Ils traversent la bicoque dès la nuit tombée. Le long des murs en bois, on voit passer furtivement leurs ombres.
Après une sieste à l’intérieur du campement, l’équipe s’est organisée pour une première collecte de déchets. Puis, en fin d’après-midi, Thibault et Simon ont plongé avec masques et tubas face à la dune. « La visibilité n’était pas très bonne mais nous avons été frappés par la taille des poissons », raconte Simon. « Dans très peu d’eau, j’ai vu une énorme carangue et croisé le plus gros baliste que j’ai vu dans ma vie. » Sur terre ou en mer, Aldabra grouille de vie.
Auteur : Pierre Lepidi, Grand Reporter au Monde
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